A présent, les failles se creusent, s'allongent et écartent, millimètre par millimètre, les plaques tectoniques désaxées, et les hommes vacillent en leur bord sans savoir qu'ils marcheront bientôt sur le vide. Tu vois le feu au vif des chairs et les murs qui s'érigent pour mieux les écraser. Tu vois l'adoration de l'inutile. Comme deux élans aux bois entrelacés, ils s'entrechoquent et se battront jusqu'à la mort.
Tu vois, surtout, le règne des petits. Les hautes aspirations sont oubliées dans la poursuite du rien. Tu vois des êtres hypnotisés, enfermés dans un caisson isolant, qui n'osent plus sortir d'eux-mêmes de peur de s'égarer à jamais. Tu vois des visages mâchouillant des mots infâmes, des mots de mépris, des mots annulant l'âme. Les mots ont changé de destin.
C'est ce qui marquera la fin du temps des hommes, si vite, si souverainement advenue.
Le règne des petits, 2009
Ne te laisse pas envahir par la petitesse du présent. Dans cet autre lieu qu’est l’écriture, tu vis dans plusieurs dimensions à la fois. Pourquoi alors accorder tant d’importance à la réalité ? N’aie pas peur de t’enfermer ou de te libérer. Tout cela n’est qu’un fil que tu tires à toi quand tu le souhaites, dont tu t’entoures ou auquel tu t’accroches ou que tu choisis un jour de couper. Ce fil est à toi. A Ariane, et non à Thésée. Et tu ne veux pas vaincre le Minotaure mais le conquérir. La lame et l’énigme de ces créatures monstrueuses et fabuleuses aussi. Tu ne t’épargnes pas, mais console‐toi aussi de pouvoir recevoir leur salive dans ta bouche. Leurs mains et leurs yeux sont passés par ton corps. Les mots filtrés par ta peau jaillissent à présent dans cet acte de reconnaissance, de révérence et de renaissance.
Les hommes qui me parlent, Gallimard, 2011