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Solstices, nouvelles (1976)

Ophélie

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Les algues t’ont finalement relâchée. Voilà Jaïshri qui repart, laissant derrière elle son sari de mariée en lambeaux. C’est maintenant qu’elle est plus belle, dans sa robe de chair et de peau, dans son voile de cheveux, avec ses fleurs d’algues pour la couronner. Elle va rejoindre un amant dans son lit de boue, et l’amour qu’elle donnera sera la putréfaction de son corps. C’est bien ainsi. Moi seul aurai connu le beau jeune corps d’une Ophélie vibrante d’amour, moi seul aurai vu le bleu de mort d’une Ophélie qui est venu assouvir mon amour de poésie en réincarnant pour moi la vision de Rimbaud.

L'araignée

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Il la regarde avec étonnement, presque avec plaisir, car elle est étrange, cette pousse sauvage et brève, demi-cachée par les feuilles, dardant de grands yeux noirs et insondables sur lui. Il est amusé, croyant à un enfant. Puis, elle se redresse, écartant les herbes, et il voit un corps mûr, précoce, petit et mince, mais parfaitement formé dans l'ensemble, souple comme une eau sombre, anguleux comme une bête. Il l'admire presque malgré lui, avec une étrange réticence. Un moment, il a oublié l'appel de la clairière. Il a presque envie de prendre cette petite fille-fleur mystérieuse et défiante dans ses bras et d'en faire une femme. Il imagine l'argile de l'enfant entre ses mains, la forme qui en ressortirait, divine, accomplie, lumineuse, lorsque se déchirerait la chrysalide noire de l'enfance.

Mais un point de haine concentrée attire son attention: l'araignée, minuscule forme noire, luisante, ronde, qui monte sur la peau de l'enfant. Il attend un geste de frayeur, d'horreur - il la sauverait, alors, il la protègerait, écraserait l'araignée pour lui montrer sa force d'homme! Mais c'est lui qui est glacé d'horreur: car l'insecte étalé au centre de l'enfant forme une étoile noire, lumineuse, qui capte le soleil et fulmine une menace; et l'enfant, du bout des doigts, fixant toujours l'homme comme pour lui montrer sa puissance, caresse la bête.

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Extraits de Solstices, Regent Press, 1976; réédition, les Editions du Printemps, 1997

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