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4/4/2020

 

Sentiment de lourdeur malgré la journée lumineuse comme presque toutes les journées depuis le début du confinement, comme si le temps se moquait de nous, nous narguait de ses merveilles, de sa verte explosion, des abeilles prises de folie autour du cerisier couvert de fleurs grasses et blanches, des oiseaux qui dansent dans le jardin sous l’œil lourd et cynique de quelques chats venus se promener par-là (dans l’espoir d’un repas facile ?), et puis cet écureuil noir que j’ai vu pour la première fois l’année dernière, le revoilà, est-ce le même ? Je ne sais pas combien de temps vivent les écureuils.

Cela me fait penser à ce poème d’Anna de Noailles que j’avais appris à l’école primaire et pour lequel j’avais reçu un prix de récitation :

 

Quelle tranquillité dans un jardin, le temps
Est là qui se repose ;
Et des oiseaux sont là, insouciants, contents,
Amoureux de la rose

De la rose charmante, à l'ombre du rosier
Si mollement ouverte,
Et qui semble la bouche au souffle extasié
De cette saison verte.

 

Temps de l’enfance, temps d’insouciance. Moi, debout, les bras bien droits des deux côtés du corps, deux longues nattes noires, jupette plissée et socquettes blanches. Et qui semble la bouche au souffle extasié…

Ce poème semblerait bien mièvre, n’était la volupté des trois derniers vers. Mais il appartient à une autre époque. Pourrait-on écrire cela, aujourd’hui ? Pourrais-je décrire mon jardin étourdissant de couleurs, de vie, d’une sorte de renaissance extatique, sans lui opposer le miroir du monde tel que me le présentent les écrans ? Cela semblerait indécent.

 

Le miroir de notre temps est tout l’inverse du frais poème d’Anna de Noailles : nous sommes à l’automne de notre ère, dans le démantèlement de ce qui a été construit, dans la désagrégation des certitudes. Mais peut-être sommes-nous parvenus au point critique où il nous est encore possible d’inverser le cours des choses. Le ferons-nous ? Ou retrouverons-nous notre aveuglement lorsque nous serons libérés de cette claustration pesante ? C’est là que la volonté des individus de retrouver un libre-arbitre qu’ils avaient peu à peu abandonné sera nécessaire. Refuser de replonger dans une sorte de complaisance abêtie qui ne remet rien en question, qui accepte de croire à tout ce qui est régurgité par les réseaux sociaux et par les paroles médiatiques et politiciennes, qui se soumet à la loi des puissants parce que c’est plus simple ainsi : la passivité a quelque chose de rassurant. Faire partie des moutons plutôt que des loups solitaires, car ceux-ci, toujours, sont menacés. Mais les moutons aussi !

 

Ce qui serait rassurant, c’est d’avoir la certitude que nous sommes responsables de nos actes.

Et de savoir que chaque acte a une portée et un aboutissement.

 

Même si, comme l’écrit Edmond Jabès, on est cette branche penchée qui essaie de retenir l’eau du torrent. Est-ce l’effort qui la courbe ou bien la fatigue ?

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