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30 avril 2020

 

Il pleut aujourd’hui, une grande pluie verte qui silence les oiseaux.

Ce vert lumineux, avec son bruit de vagues mourantes, m’écorche le cœur.

Et la voix de Ted Hughes, lisant ses Contes d’Ovid (Tales from Ovid), est comme un orage couvant derrière les nuages.

Profonde, soyeuse, tantôt grondement, tantôt mélodie, elle nous entraîne dans le déferlement fastueux et tragique des mythes grecs et romains : les métamorphoses, les ruptures, les enchantements, et l’aventure humaine qui en est le cœur.

Voici Narcisse, qui ayant violemment rejeté l’amour d’Echo, s’allonge devant un étang et plonge dans son propre regard :

 

Falling deeper and deeper in love

With what so many had loved so hopelessly.

Not recognizing himself

He only wanted himself. He had chosen

From all the faces he had ever seen

Only his own. He was himself

The torture who now began his torture.

 

(De celui que tant avaient aimé sans espoir, il tomba de plus en plus profondément amoureux. Ne se reconnaissant pas, il ne désirait que lui-même. Il avait choisi, parmi tous ces visages, le sien propre. Il devint la torture qui entama sa propre torture.)

 

Et voici Erysichthon, condamné par Céres à une faim éternelle :

 

Whatever he ate

Maddened and tormented that hunger

To angrier, uglier life. The life

 

Of a monster, no longer a man. And so,

At last, the inevitable.

He began to savage his own limbs.

And there, at a final feast, devoured himself.

 

(Tout ce qu’il mangeait ne faisait qu’exacerber cette faim et la rendre plus laide et plus rageuse encore, plus vivante aussi. La vie d’un monstre, et non d’un homme. Et ainsi, à la fin, l’inévitable. Il se mit à ronger ses propres membres. Et enfin, à cet ultime festin, il se dévora lui-même.)

 

Pygmalion, ayant supplié Vénus de lui offrir une femme exactement pareille à la statue qu’il venait de sculpter, rentre chez lui :

 

Pygmalion hurried away home

To his ivory obsession. He burst in,

Fevered with deprivation,

Fell on her, embraced her, and kissed her

Like one collapsing in a desert

To drink at a dribble from a rock.

 

But his hand sprang off her breast

As if stung.

He lowered it again, incredulous

At the softness, the warmth

Under his fingers. Warm

And soft as warm soft wax –

But alive

With the elastic of life.

 

(Pygmalion se dépêcha de rentrer chez lui pour rejoindre son obsession d’ivoire. Fiévreux de son manque, il se précipita, lui tomba dessus, l’embrassa comme un homme perdu dans le désert s’effondre pour boire quelques gouttes s’échappant d’un rocher. Mais sa main s’écarta aussitôt de son sein, comme brûlé. Puis il la rabaissa, n’osant croire que cette douceur, cette tiédeur sous ses doigts étaient réelles. Tiède et douce comme une cire tiède et douce – mais vibrante de l’élasticité de la vie.)

 

Je pourrais citer d’autres passages traversés par la poésie, la violence et la sensualité de Ted Hughes. Mais mieux vaut le lire et l’écouter.

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Et le monde prend une ampleur inaccoutumée. La pluie verte est une musique de plus.

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