12 mai 2020
Remettant de l’ordre dans ma bibliothèque devenue depuis longtemps un capharnaüm où les livres jadis bien rangés (les vieux amis) ont été recouverts et masqués par l’amoncellement de nouveaux-venus, d’usurpateurs, de conquérants, voire peut-être d’intrus, je me suis lancée avec une sorte de frénésie dans un défrichage qui se voulait sans merci contre l’anarchie.
Je savais que je devais le faire : il m’est arrivé trop souvent d’avoir besoin d’un livre et de ne pas le retrouver, alors que je sais qu’il est là. Une sorte de colère m’envahit alors contre moi-même : comment ai-je pu ainsi me laisser aller au désordre ? Il fut un temps où, même si les livres n’étaient pas rigoureusement classés, je me souvenais, en utilisant une sorte de mémoire visuelle, où ils étaient, et pouvais ainsi les retrouver sans peine. Les déménagements successifs ont eu raison de ce système. Il m’arrive désormais de racheter un livre plutôt que de le chercher vainement dans le labyrinthe de papier qui longe les murs.
Donc, depuis hier, le grand ménage : tenter d’enlever les livres qui ne me semblent pas importants et que je ne relirai pas, pour garder les classiques, les livres des auteurs auxquels je suis fidèle, les livres que je n’ai pas encore lus, les livres des écrivains amis, dédicacés pour la plupart, qui se sont accumulés au fil des années. Et aussi les livres de loisir quand j’ai juste envie de m’évader et de libérer mon esprit d’un surcroît de pensées. Et les textes anthropologiques de mes années universitaires que j’ai eu envie de garder, même s’ils sont datés. Et puis, et puis…
Là est la difficulté : comment s’en débarrasser (comme du cadavre dans Amédée) ? J’ai l’intention de les apporter à Maurice lors d’un prochain voyage pour les offrir à une bibliothèque. Mais en les tenant entre mes mains, j’ai l’impression d’être une mère assassine qui abandonne ses petits dans la forêt. Même ceux que je n’ai pas aimés m’ont offert quelque chose. Et, surtout, ils se sont imprégnés d’un peu de mon histoire, de mes émotions, tout comme ils se sont imprégnés en moi. Les livres qu’on lit se mélange à nous, notre sang, notre chair, notre peau : il me semble parfois que mon corps est fait de mots.
Alors, adieu, amis, amants, volants, volages, mirages
Ne restent que les plus fidèles, et ceux envers lesquels je resterai fidèle
Effleurant leur dos et leur ventre, je me souviendrai que j’ai été.
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