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Lieux Dits

(de l'île Maurice)

 

Jouant à la marelle des errances, je saute à cloche pied dans les flaques de la mémoire. A chaque pas, les noms jaillissent et m’éclaboussent. Plouf ! Makondé. Plouf ! Anse Jonchée. Plouf ! Brisée-Verdière, Case Noyale, Constance-la-Gaieté, Tatamaka, Terre Rouge. Plouf, plouf, plouf ! Eclaboussée. Une eau de pure nostalgie, comme celle que l’on se met à boire dès le premier instant de la naissance. On vit dans le regret de tout ce temps perdu, de tous ces lieux laissés. Que cette marelle intime me mène vers le paradis ou l'enfer, me voici voyageant à rebours, ressac dans sa valse de goémons.

 

Quand on ouvre les yeux à Trois Boutiques, on ne peut empêcher un rythme d’entrer dans la chair. Trois syllabes. Cliquetis du bout des ongles sur un clavier, tic-tic-tic. Trois comme les sœurs qui y grandissent, ouvertes à tous les bruits. Odeurs saisonnières du fangourin et du fumier. Père vêtu du duvet dru des cannes, odeur de terre fumée, et dont les yeux portent la douceur mystérieuse des contes.

 

La petite fille écarte ses orteils pour y laisser entrer la mer. Celle-ci, en repartant, y crée des éboulis de sable. Au milieu crépitent des cristaux de sel. En sort la tête curieuse et affolée d’un soldat qui a perdu sa coquille.

 

Je n’ai pas écrit sur tous ces lieux, mais je les ai en moi, en attente. Mon pays coule en moi son collier de lave. Je les enfile, je les porte contre ma peau, même s’ils me brûlent. Ils y seront tous, un jour, avec leurs maillons de dates, leur breloque de charmes, si d’aventure on en venait à m’autopsier la mémoire.

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