Commencer par le vide. C’est toujours ainsi que s’ouvre un texte. On entre dans le lieu des impossibles, où s’esquissent plusieurs chemins, où la lumière est si pâle qu’un seul pas est éclairé. Le prochain s’aventurera dans le noir.Mais il ne s’agit pas d’un texte. Ce pas m’entraîne vers une autre réalité.Un mémorial, de vides et de silences. Ce qu’il me transmet est une injonction : que je dois à mon tour me vider de toute intention ; me mettre à l’écoute. Ne pas entrer en état d’écriture afin de ne pas gauchir le parcours à peine entamé. Me laisser porter, emporter, transporter. Voire fracasser. La vague sera forte. Je dois rester debout.Ce pas que je fais, par cette nuit venteuse, sous cette pluie violente, franchissant avec une sorte de fermeté la porte, comme si j’écrasais le corps d’un ennemi, ce pas, me semble-t-il, me coûtera. Je ne pénètre pas dans une enceinte mais dans un corps pulsant de menace : une matière combustible. Je m’y plongerai. Je m’y immergerai. Ceux qui y sont m’attendent. Qui est cette intruse, disent-ils, cette interlope qui n’a nulle part sa place, qui n’appartient à rien, qui n’a pas d’identité parce qu’elle n’en choisit aucune, de quel droit pénètre-t-elle ici, où les différences ont pesé lourd, si lourd, qu’elles ont été une lame sombrant sur un cou ?Que vient-elle donc faire ici, disent-ils, que vient-elle encore chercher, remuant glaises et glaires, plongeant ses mains dans la poisse et le purin pour se sentir vivante, car sans cela elle n’a aucune substance, n’existe pas, ne hantera rien ni personne après sa mort, c’est sûr, une brindille vite emportée, brume transparente et grise : elle a besoin de nous pour être. Elle a besoin de se vêtir de la peau des fantômes pour se donner un semblant d’épaisseur. Pourquoi lui servirions-nous de prétexte à une vie ? Pourquoi serions-nous complices de son subterfuge ? Lorsqu’elle entrera ici, elle comprendra que nul masque ne peut nous résister. Nous l’obligerons à nous regarder dans les yeux, à y lire notre condamnation. Celle de quelqu’un qui n’a été d’aucun combat, qui n’a fait preuve ni de grandeur ni de petitesse. Faire acte d’une manière ou d’une autre est une preuve de vie, disent-ils encore, tandis que se contenter d’être spectateur est une mort avant l’heure. Le vrai courage ne vacille pas. Il ne se cache pas derrière des mots, ne peut être étouffé par des murs, même ceux de cette prison. Même lorsque la vérité lui déchire la bouche. Osera-t-elle nous voir ? Osera-t-elle, surtout, se voir ? Nous l’attendons, en cette nuit vaste, d’orage et de tumulte, en cette nuit où les fantômes que nous sommes sont investis d’une étrange énergie, sont galvanisés par une présence, enfin, non de celles qui le jour passent et nous frôlent à peine, qui ne sont pas aptes à percer les murs et le temps pour nous atteindre, mais qui serait prête, la folle, à se livrer, avec toute sa belle présomption, à nous faire croire en son innocence alors que ce mot est loin de s’appliquer à elle, oui, nous l’attendons, non pour qu’elle nous écrive, mais pour que nous la réécrivions, elle, dans sa vérité nue.Elle sera notre feuille blanche. Nos stylets sont aiguisés.
La nuit s'ajoute à la nuit